Étalon de valeur et moyen d’échange non thésaurisable : le kilowattheure

C’est une idée qui m’avait « illuminé » autour de 2010 ! Je réfléchissais déjà depuis longtemps aux possibilités d’une monnaie alternative (pour faire court, disons seulement que le problème de la monnaie est plutôt central pour notre monde contemporain). À cette époque je planchais sur un système particulier d’optimisation de ressources informatiques en réseau qui prendrait en compte le coût des ressources pour les assigner de façon optimale. Comment quantifier les coûts de façon universelle sans baser tout le système sur une devise fiat en particulier ? Pour ça, ça nous prend une unité de mesure universelle dont la grandeur numéraire peut facilement être déduite de sa valeur en monnaie locale, peu importe la devise utilisée localement. Ainsi, on pourrait assigner les coûts de chaque ressource (coût du matériel amorti par unité de temps, coûts de stockage, temps CPU, utilisation de la mémoire, bande passante réseau, coûts en électricité, etc.) en utilisant un étalon de valeur universel.

Ressource économique quantifiable universelle ultime, l’énergie correspond parfaitement à une telle définition. Sa quantification en unités SI est commune et sa valeur sur le marché étant facilement vérifiable, la conversion des grandeurs de valeur est relativement simple. Se transigeant actuellement dans la magnitude des 10 cents, le kilowattheure (kWh) offre une unité de valeur qui est également proche des monnaies fiat conventionnelles.

  • Unité du système international, déjà connue et utilisée universellement
  • Valeur facilement comparable et convertible avec les monnaies fiat conventionnelles
  • Notation normalisée (kWh), courte et déclinable à l’envi (mWh, Wh, kWh, MWh, etc.)

Avantages conceptuels

Mais ça ne s’arrête pas là. Le kWh offre plusieurs avantages conceptuels supplémentaires qui en font une unité de mesure idéale pour l’échange économique :

  • D’abord, le fait que sa mesure puisse être directement mise en relation avec d’autres grandeurs physiques dans les calculs élimine la nécessité d’une « couche d’abstraction comptable » superflue dans les calculs d’ingénierie et de planification logistique.
  • Ensuite, le fait qu’une grandeur physique d’énergie réelle (« mesure de la capacité d’un système à modifier un état, à produire un travail ») puisse être mise directement en relation avec la notion de travail (puissance développée pendant un temps donné) et donc de force de travail — sachant que la seule chose qui puisse produire de la valeur, c’est précisément le travail — on met ainsi conceptuellement la valeur directement en relation avec le processus de production de valeur.

Mesure d’énergie développée pour transformer le système, le kilowattheure reconnait immédiatement le travail dans toute forme de valeur.

La valeur d’une marchandise ou d’un service est bel et bien déterminée par la quantité de travail nécessaire pour produire ceux-ci (les détracteurs de la théorie économique qui a recours à la notion de « travail abstrait » ne comprennent tout simplement pas que la réalité de l’abstraction elle-même du travail universel est déjà posée par le problème très concret de l’universalisation de l’échange et que les « facteurs d’abstraction » sont eux-mêmes tributaires du travail tout à fait concret d’autrui). Mesure d’énergie développée pour transformer le système, le kilowattheure reconnait immédiatement le travail dans toute forme de valeur. Voilà qui devrait nous changer, conceptuellement, des habitudes aquises avec le dollar !

Les garanties d’une valeur objective concrète

Le marché de l’énergie n’est certes pas à l’abri des fluctuations. Il est même, par ses déterminations géopolitiques et son intrication intime avec la totalité des marchés, des plus complexes à saisir dans son ensemble. Mais la valeur de l’énergie à titre d’étalon de valeur offre un avantage indéniable sur les monnaies conventionnelles : elle est objectivement liée à la production réelle et s’assure ainsi d’avoir une valeur à tout moment, et ce, quoiqu’il advienne. Une telle garantie est tout à fait manquante chez les monnaies nationales et supranationales, dont la valorisation est sujette à toutes sortes de facteurs arbitraires (puisqu’éminemment politiques) et peuvent, fait important, s’effondrer complètement à tout moment. C’est arrivé plus d’une fois, et je serais même disposé à croire qu’elles sont toutes condamnées à le faire tôt ou tard. Mais cela sera le sujet d’une autre discussion.

Kilowattheure et thésaurisation

Par définition, l’énergie est utilisée pour accomplir un travail au moment où elle est produite, développée. Ceci est différent des métaux précieux, comme l’or et l’argent, qui ont été choisis historiquement pour leurs qualités intrinsèques, en particulier la possibilité de thésaurisation, c’est à dire de les accumuler pour faire accumulation de valeur. Ceci n’est pas entièrement impossible avec l’énergie : ont peut stocker du pétrole ou charger une batterie. Mais toujours avec un coût technique important (il faut construire des réservoirs ou fabriquer des batteries) et une certaine dévalorisation (on perd de l’énergie à la stocker). Tandis qu’avec les métaux précieux, il suffit de les mettre dans sa poche.

Donc le kilowattheure n’est pas thésaurisable. Convenons-en : cela ne constitue en rien une garantie contre les dérives de l’accumulation capitaliste. Rien n’empêcherait la banque de tenir ses registres et de collecter ses intérêts sur des kilowattheures fiduciaires, en nombres bien rangés en colonnes de débits et de crédits. C’est d’ailleurs précisément ce qui se passe aujourd’hui pour n’importe quelle monnaie fiduciaire : il n’existe plus aucun réservoir de valeur concrète derrière la valeur de notre argent. Ni or, ni argent.

Mais le kilowattheure en tant qu’étalon de valeur, en illustrant parfaitement le caractère immédiat de la valeur, établit la liaison entre la valeur et le travail qui la produit. Ainsi, même la valeur d’une once d’or (réel) est déterminée par ce qu’il en coûterait pour la produire à nouveau.

Ce rapport entre la valeur thésaurisée, le coût de production et l’énergie comme mesure de travail est splendidement illustré par l’exemple contemporain du Bitcoin, unité virtuelle d’échange et de thésaurisation électronique. Sans se perdre dans les détails techniques du fonctionnement des crypto-monnaies, soulignons seulement ceci : abstraction faite des fluctuations dûes à la spéculation, la valeur de marché du Bitcoin tend naturellement à être exactement égale au coût de l’électricité globalement nécessaire à la production du prochain Bitcoin ! Contrairement aux monnaies fiduciaires, négatives, car basées sur le crédit (leur valeur est garantie par les promesses d’une production future), le Bitcoin est une monnaie dont la valeur est immédiate et positive : mais c’est un gaspillage éhonté d’énergie, si vous voulez mon avis !

À suivre !

Laisser un commentaire